vendredi 22 novembre 2013

Retour à Stockholm

Grâce à un coupon de réduction, j'ai pu m'embarquer pour une nouvelle virée à Stockholm sur un ferry Viking Line, mais seul, cette fois. Et pour seulement 5 euros l'aller-retour. Oui.

Ça m'a coûté moins cher de prendre le bateau pour passer 6 heures à Stockholm que d'aller voir un film de 2 heures à Helsinki.

Bref, un billet de cinq euros bien claqué. Mais deux nuits de voyage sur une couchette qui vibre sans me laisser vraiment dormir pour quelques heures de ballades en ville : Est-ce que ça vaut le coup ?

La réponse, évidemment, est OUI.

Déjà, ça me permet de voyager, ce qui ne m'arrive pas tant que ça. Alors oui, j'en entends qui ricanent, louchent vers la liste de pays dont je parle sur ce blog et se disent "non mais ça va, il te faut quoi ?". Mais le fait est que pour l'Estonie, les Pays-Bas et la Suède, je n'ai jamais fait que des visites éclair, quelques heures à chaque fois (bon, trois fois pour Tallinn), pas vraiment le temps en général de voir énormément et de s'imprégner du pays.

Si je passais quatre heures à Paris je ne pourrais pas clamer : "J'ai voyagé en France".

Stèle runique représentant l'aspect guerrier d'Odin
Mais quelques heures, c'est déjà beaucoup, et j'en ai bien profité. J’ai pu faire un tour dans le cœur historique à peine entrevu la dernière fois (où la majorité du temps fut consacrée au Musée de Vasa), ainsi que faire un crochet au Musée Historique avec une heure de visite devant moi, juste assez pour voir l'étage "préhistoire" et "âge Viking". Et rien que pour ça, ça valait franchement le coup ! Les pierres runiques sont de toute beauté, les bijoux et toutes les pièces forgées simplement sublimes de détails et de délicatesse, et de pouvoir voir une barque funéraire aussi bien préservée, un privilège. Je ne regrette pas ce détour, seulement de ne pas avoir pu voir l'étage supérieur du musée... Il faut VRAIMENT que je fasse un vrai séjour en Suède pour voir tout ce que je voudrais... peut-être un été ?

La ville me laisse une impression de similitude avec Helsinki assez frappante dans son architecture "classe" et historique, en dehors du petit cœur médiéval dont la capitale Helsinki n'a pas d'équivalent. En revanche Stockholm fait plus massive, plus grande ville comme on la voit en Europe centrale. Moins vert, aussi, même si le fait d'être répartie sur un archipel donne à la ville un côté morcelé qui l'aère un peu. Très belle ville tout de même, mais j’admets préférer l'ouverture et la verdure d'Helsinki, quand Stockholm me paraît  plus concentrée. Après, je parle du centre-ville, évidemment, je ne peux pas juger du Grand Stockholm.

En revanche, leurs bâtiments officiels sont quand même plus classes qu'en Finlande, il faut bien l'admettre. On sent bien qu'ils ont servi depuis plus longtemps...

(Attention au bling bling quand même face au Théâtre Dramatique, hein... on frôle le mauvais goût au milieu de cette architecture qui autrement parvient à en mettre plein la vue sans se la péter).

J'avais prévu une seule vidéo, mais j'ai dû la recommencer pour cause de droits d'auteurs, je l'ai donc refaite puis scindée en deux parties, ça s'y prêtait bien et c'était plus facile pour la mettre en ligne/ corriger en cas de nouveaux droits d'auteurs litigieux. La première vidéo concerne la ville de Stockholm en elle-même :


Et la vidéo spéciale dans le Musée Historique :


 

lundi 18 novembre 2013

Choc culturel, intégration et autres poncifs : Le rapport à l'Histoire

Après une petite introduction je vais développer ma propre expérience de choc culturel et d'acculturation. Non seulement parce que ça pourrait en intéresser certains mais soyons franc, aussi parce que ça va me soulager. Dans ma série d'articles sur les trucs qui m'ont gonflés dans d'autres cultures, je commence par un sujet... vaste.

J'évoquais dans mon article précédent le repli de la Grèce sur son Histoire passée (souvent antique, qui plus est) en citant une phrase pompeuse vue aux Météores. Je crois qu'il faut vraiment y revenir, à cet exemple, parce qu'il est idéal. Pour vous remettre dans le contexte, imaginez-vous dans le musée des monastères des Météores, un musée certes sur l'histoire de ce site mais surtout sur celle de la Grèce dans son ensemble, avec des costumes de diverses régions, une rétrospective historique rappelant les grandes batailles - et victoires, surtout - de Hellas ! Vous passez les tableaux en revu dans une petite salle bourrée d'objets exposés et vous tombez sur ceci :

L'Histoire de la Grèce en un tableau. Hé, un méchant allemand ! D'ailleurs on le voit pas bien, mais le peintre s'est foiré avec la swastika comme ces collégiens qui en gravent dans leurs tables sans comprendre que les branches tournent toutes dans la même direction... Il y a aussi le vilain Turc, qui comme tous les vilains Turcs sur tous les tableaux fume un narguilé et tue un chrétien. Pour une raison qui m'échappe, on ne voit pas de cimeterre, pourtant attribut inséparable du vilain Turc sur tableau.

La légende du tableau en question. Merci à Ada-Maaria Hyvärinen pour les trois photos.

Il y a un paquet de choses à dire sur ce tableau et sa légende, et qui résume bien mon blocage face aux Grecs et à leur rapport à leur Histoire (et l'Histoire en général d'ailleurs, puisque les deux semblent se confondre). Notez que la légende nous annonce "Grèce Antique" alors que le tableau va de Adam et Eve - malheureusement hors du cadre, le tableau était très long - à nos jours. Soit la légende n'a rien à faire sous ce tableau, soit leur vision de l'antiquité grecque diffère de celle qu'on apprend au reste des écoliers européens. Et en lisant le texte on comprend que oui, la Grèce millénaire EST la Grèce, EST même le monde ! Ma traduction libre, n'hésitez pas à me corriger :

"La Grèce Antique - lieu de naissance universel et éternel berceau de la civilisation, l'éternel source spirituelle de l'univers, le grand professeur et brillant rayon de lumière de l'Europe, hier, aujourd'hui, et toujours.

Les arts plastiques, architecture, poésie, prose, musique, philosophie, rhétorique, les sciences - toutes les entreprises intellectuelles ont atteint leur apogée et trouvé leur expression charismatique dans la Grèce de l'antiquité classique.

La liberté et la démocratie - des conceptions intriquées qui furent mises en pratique et glorifiées dans leur essence la plus profonde et plus fondamentale à Athènes.

Marathon, Thermopyles, Salamine, éternel symboles d'une haute éthique, de patriotisme, de générosité de l'âme, d'abnégation et de sacrifice. Les épopées d'Homère et le Parthénon - uniques, impérissables monuments de la civilisation globale, un hymne glorifiant et guidant le Mot Écris et l'Art à travers les siècles.

La philosophie de la Grèce Antique - préceptrice de l'Humanité. Elle a élargie les horizons de la pensée et lancée la quête de la vérité. Elle a traité du concept de Dieu unique, "pavant la voie et développant ce que Christ compléta."


Voilà, rien que ça. Alors certes, Homère, le Parthénon, la philosophie... Certes. Mais bon, si des Arabes ou des Chinois, ou des Indiens, etc, lisent ce petit résumé de l'histoire de l'art et de la pensée de la civilisation "universelle" et "éternelle", j'espère qu'ils ne s'en vexeront pas pour autant. La philosophie grecque a préparé Jésus Christ, d'ailleurs, le Dieu unique, c'est elle qui s'en est occupé.

On notera que les "batailles héroïques" sont toutes trois menées contre le Pont, rien sur les Romains ou tout autre ennemi... Mais surtout le coup de la démocratie. Alors ce que cette légende nous dit, c'est quand même :

La liberté et la démocratie - des conceptions intriquées qui furent mises en pratique et glorifiées dans leur essence la plus profonde et plus fondamentale à Athènes.

Alors pour rappel, seuls les citoyens votent dans une démocratie dans son essence fondamentale et profonde à l'athénienne. Donc les hommes nés de père Athénien et ayant fait le service militaire, ou ayant un père et une mère athénienne. Femmes et esclaves (bah oui, esclaves) sont des biens, donc non, et les étrangers, sauf exception, non plus. On peut aussi ostraciser un citoyen en votant contre lui. Il perd tous ses droits et peut être torturé en place publique sans que personne ne lève le petit doigt. Plus citoyen, plus protégé par la Cité ! Et pourtant, le coup de la démocratie née à Athènes, les Grecs le ressortent à toutes les sauces et le brandissent comme si on leur devait quelque chose encore aujourd'hui. Désolé, mais en Islande on votait en assemblées et les femmes avaient un paquet de droits bien avant que les Chrétiens ne ramène leur culture greco-latine dans les parages. La Grèce n'a pas seule paternité de la démocratie, et encore moins dans le sens que l'on lui donne aujourd'hui (qui n'a presque rien à voir). Ce serait comme dire que Charlemagne a inventé l'Union Européenne. C’est un mythe, tenace, qui s'inscrit dans la longue tradition de ce que les Grecs prétendent avoir toujours "eu avant".

On m'a même sorti que "toutes les nations européennes ont eu leur période totalitaire impérialiste sauf la Grèce" qui, elle, a inventé la démocratie ! Comme il leur est facile d'oublier que Athènes a entubé toutes ses alliées grecques dans la Ligue de Délos (aussi appelée... Empire Athénien...). Une mémoire super sélective qui s'applique aussi à l'époque moderne. Par exemple, le Επέτειος του Όχι, le "jour du non", qui célèbre le jour où les fascistes Italiens ont envoyé une missive au grand  leader grec Ioánnis Metaxás pour lui faire savoir que la Grèce était désormais une colonie italienne. Ce à quoi notre héros aurait donc simplement répondu :

Non.

(Ou "alors c'est la guerre", mais "non", c'est plus classe). Avant de bouter les Italiens hors de ses terres et de leur prendre une partie de l'Albanie (La honte pour Mussolini qui a donc appelé son ami Adolf à la rescousse. Ça s’est moins bien passé pour les Grecs). Le "Jour du Non" célèbre l'esprit de résistance grec, la combativité de ce peuple fier et libre, défenseur des valeurs telles que : Liberté, démocratie, Grèce. Bref, la légende sous le tableau. Là où ça devient glauque, c’est de voir des enfants dans des jardins d'enfants remplir joyeusement de couleur des modèles de dessins de soldats hellènes en armes avec le drapeau qui flotte dans le fond... et là où ça devient encore plus flippant c'est que personne ne semble vouloir se souvenir que Ioánnis Metaxás était lui-même un dictateur d'extrême-droite quasi-fasciste qui avait plus à voir avec Mussolini qu'avec ses alliés anglais, n'était l'opportunisme. Donc, pour le Jour du Non  - Fête Nationale quand même - on va voir des jeunes enfants glorifier le jour où un facho grec a dit NON à un facho italien, et ça, c'est le symbole de l'esprit de résistance et de liberté de la Grèce Éternelle.

D'ailleurs, dans ce même musée, si les vitrines sur la Victoire contre les Ottomans et plus tard les Italiens s'accumulent, il y a deux panneaux en tout et pour tout sur la dérouillée prise contre les Allemands, et l'un d'eux n'est que la liste des moines du monastère liquidés par les nazis. Même scénario à Thessalonique ou Athènes. L'histoire, dans un musée grec, c'est quand la Grèce gagne. Le reste c'est un détail qu'il faut vite expédier.

Je pourrais continuer mais avec ces quelques exemples choisis on comprend peut-être mieux pourquoi j'ai eu un énorme problème avec ça, d'autant que le pays affrontait déjà la crise qui se poursuit aujourd'hui. Seulement, dans une culture pareille, l'autocritique est rare et le déni profond. Discuter des problèmes de la Grèce avec des Grecs relève souvent du dialogue de sourd, même si le problème de la corruption n’est généralement pas question à débat. Mais il flotte dans l'air ce parfum de gloire éternelle tellement puant que j'ai fini par abandonner. La Grèce est la source de tout, a tout inventé, et le monde manque de reconnaissance envers elle. Nous sommes ingrats.

Cela dit, ce déni complet face à une grandeur passée dans un pays qui rame et qui croit encore être ce phare à l'horizon des peuples libres ne m'était pas totalement nouveau. J'ai vécu en France assez longtemps pour entendre le refrain sur la France, Patrie des Droits de l'Homme. La France qu'on écoute. La France Résistante. "Une certaine idée de la France" qui n'a, elle non plus, pas grand chose à voir avec la réalité d'aujourd'hui. La différence c'est que la Grèce a déjà le nez dans la misère crasse. 

Quand ton Aldi ressemble à ça, tu sais qu'il y a un problème :


Or, la France n'y est pas encore tout à fait. Elle croit que ça va très mal, et pourtant elle ne croirait jamais que ça, là, des rayonnages vides partout, les fascistes dans les rues qui défilent en chantant le Horst Wessel Lied, le FMI et la BCE qui lui prête en grognant pour éponger sa dette catastrophique pendant que le reste de l'Europe lui impose de vendre le Mont Saint-Michel aux Chinois, ça ne lui arrivera pas. Parce que c'est la FRAAAANCE, et que la France est un grand pays qui ne tombera jamais. C’est une nation éternelle qui a inventé les Droits de l'Homme et l'Europe devrait être à ses pieds - d'ailleurs si tu veux bosser dans l'UE, faut parler Français. Parce qu'on l'a quand même fondée, l'UE. L'Allemand, par contre, pas obligatoire, non, non, mais le FRANÇAIS oui !

Quelque part, j'ai retrouvé en Grèce quelque chose que je ne supportais déjà plus en France, en plus extrême encore, et c'est peut-être la raison pour laquelle cet aspect de la culture grecque me paraît être encore aujourd'hui l'un des plus gros obstacles à mon acculturation durant mon SVE, ce qui a fait que je n'ai pas pu m'y adapter.

La grosse différence avec des similarités apparentes en Finlande, c'est le contexte. Prenons par exemple la Guerre D'hiver, où la Finlande, seule, abandonnée par ses "alliés" de l'Ouest qui lui avaient promis assistance et n'ont fourni que de bons sentiments, a tenu tête à l'Union Soviétique. Les Soviets se sont cassé les dents sur la Finlande, petit pays peu peuplé qui a osé lui montré le doigt et résister à son rouleau compresseur. Si finalement la Finlande a dû céder un traité de paix sous la contrainte, et donc n'a pas gagné cette guerre, elle est parvenu à empêcher son invasion complète malgré tous les pronostics, et a échappé à la satellisation à l'Union soviétique (contrairement aux pays baltes comme sa cousine l'Estonie). Techniquement c'est une défaite, mais pour les Finlandais, c’est une Victoire, le sauvetage d'une indépendance fraîchement acquise (1917, donc à peine une vingtaine d'année plus tôt), la confirmation pour une jeune nation qu'elle veut être libre. Aujourd'hui la guerre d'hiver est glorifiée à l'envi, un peu trop peut-être, mais plusieurs différences font que cela ne m'agace pas.

- Ils ne rattachent pas tout succès actuel à ce passé glorieux
- Ils ne justifient pas leurs actions d'aujourd'hui par le prisme des actions d'hier.

D'ailleurs, si une frange plus "traditionaliste" réclame encore mollement le retour de la Carélie "occupée" à la Finlande, elle n'est guère écoutée, et ces gens sont considérés comme des reliques amusantes et inoffensives. On n'est pas dans la situation grecque ou, pour une question de nom, la Macédoine n’est pas reconnu par la Grèce et ses alliés, parce que la Macédoine, c’est en Grèce ! Faux, d'ailleurs, selon le point de vue de l'époque, mais perdre la Macédoine, pour la Grèce, c’est perdre Alexandre le Grand, or, Alexandre le Grand, il est 100% grec, c'est nous, on a le plus grand Empire de tous les temps ! Cette farce a bloqué l'accession du "FYROM" puisque le nom Macédoine lui est reproché à l'UE pendant des lustres et obligé des statues d'Alexandre le Grand à se faire renommer "Guerrier à cheval" pour éviter des crises diplomatiques avec Athènes.

Avoir un rapport biaisé à son Histoire est une chose presque normale, inévitable. La différence c'est l'extrémité dans laquelle on va pousser le déni et la falsification pour se glorifier à travers un passé révolu, qui excuserait ou justifierait les mauvaises décisions ou mentalités actuelles. La Finlande, nation jeune, est parvenue à créer un équilibre entre patriotisme et réalisme, sortant régulièrement ses drapeaux partout pour des jours commémoratifs de ses auteurs, de sa culture, de son histoire, tout en se questionne régulièrement sur les relations entre Mannerheim et Hitler, et sur l'entente militaire avec l'Allemagne. La Grèce, elle, a ses drapeaux sortis partout et constamment, et ne se pose que peu de questions sur ses zones d'ombre.

Tout est dans la mesure. Ou la démesure.

samedi 16 novembre 2013

Choc culturel, intégration, et autres poncifs : Une Introduction

Si vous êtes intéressé par l'expatriation, qu'elle soit temporaire ou définitive, vous avez probablement vu/entendu parler de cette fameuse courbe d'adaptation qui vous montre les phases par lesquelles vous passerez probablement lors de votre expérience. Cette courbe, la voici :

Emprunté à http://www.gestion-des-temps.com/
On nous l'a sortie avant mon départ en Service Volontaire Européen, durant notre "séminaire", et plus récemment j'y ai eu droit à nouveau dans une réunion d'information relative à mon futur échange durant le second semestre de cette année. Cette courbe est ressortie à toutes les sauces, et ce malgré le bémol que "ça dépend des personnes et tout le monde ne passe pas par toutes les phases, etc. etc.". Alors certes, je suppose que beaucoup de monde est passé par là, sinon cette courbe n'existerait probablement pas, mais à titre tout à fait personnel, je dois dire que cette courbe me fait bien rigoler.

Ni en Grèce durant mon SVE, ni en Finlande je n'ai suivi cette courbe, et pour des raisons différentes en plus. Si j'osais, je mentionnerai mon déménagement en France ou, malgré ma double culture (ou à cause d'elle), débarquer dans un village très replié sur lui-même a été peut-être l'un des pires chocs culturels qu'il m'ait été donné la "chance" d'affronter. Oui, je dirai que déménager dans un petit bled Alsacien a plus dépaysé le germano-alsacien que j'étais que la Grèce, mais bon, j'étais jeune et naïf à l'époque. Bref.

Résumons succinctement cette fameuse courbe. Théoriquement, on arriverai dans le pays d'accueil, et comme tout est tout nouveau tout beau, on traverserait une phase d'euphorie souvent appelée "lune de miel". Puis, la réalité nous rattraperait et nous plongerions dans un état d'agacement profond : Nous remarquerions ce qui ne nous plaît pas, nous semble ne pas fonctionner, le mal du pays nous prend, bref, c'est le choc culturel. Puis, par un procédé d'acculturation, nous accèderions à une stabilité retrouvé, l'intégration. La courbe ci-dessus donne même trois variantes possibles à l'issue de ce processus :

a) Vous ne parvenez pas à vous intégrer, le choc est trop grand, et c'est la dépression qui vous guette.

b) Vous êtes intégré, tout va bien, mission accomplie Bravo Leader.

c) Vous êtes devenu un intégriste de votre pays d'accueil, un converti fanatique qui connaît mieux ce pays, ses coutumes et son histoire que les natifs. Vous leur faites presque peur, en fait.


Mon expérience n'a pas suivi ce modèle. Commençons par la Grèce.

La Grèce a commencé par la découverte que nos appartements étaient bourrés de volontaires (jusqu'à quatre par chambre prévue pour deux qui se serrent...), et un projet qui n'avait apparemment pas besoin de moi pour un mois. Une organisation déplorable côté association d'accueil donc, mais une bonne humeur et une chaleur humaine qui donnait un a priori tout de même positif. Malheureusement, travailler dans ce projet c'était quand même la raison pour laquelle j'étais venu. Je découvre aussi les joies des transports en commun grecs et leur absence en pratique de grille horaire, l'attitude "aujourd'hui peut-être, ou alors demain" et "je suis en pause, unique client de l'après-midi, ne me dérange pas". La lune de miel, je ne l'ai pas eu, je suis directement passé au gros choc culturel qui tâche. Et si mon acculturation s’est faite par à coups, j'ai réussi à ignorer le fait que rien ne marche et que tout fonctionne par piston. Du maire du petit bled à la Police, tout passe par le petit billet glissé où il faut quand il faut. Et ça, ça m'a gonflé du début à la fin, mais j'ai fait avec. J'ai découvert la chaleur des gens, leur hospitalité, et j'ai apprécié. Est-ce que cela compensait leur absence totale de réflexion dans leur comportements à risque ? Non. Exemple :

Moi : "Vous pensez que c’est une bonne idée de jeter vos mégots de cigarette par la fenêtre, en été, au milieux des montagnes ? Il y a pas mal de feux dans toute la Grèce à cette période de l'année, tous les ans, et..."

Réponse des travailleuses sociales après un éclat de rire : "Ça c'est les gens qui brûlent leur terrain pour l'assurance, pas les cigarettes !"

Voilà voilà... Je ne me suis jamais adapté à la culture grecque, et j'en ai rapidement eu marre. J'étais content de partir après six mois. Les gens étaient adorables, en tant qu'individus, la nourriture était excellente, les paysages somptueux, mais le pays en tant que culture (dans sa forme actuelle), ne m'a laissé de place ni pour la lune de miel, ni pour l'adaptation. Je suis passé de l'agacement au rejet en 6 mois. Tout en adorant les gens pris individuellement, ce qui fut le plus troublant. Les travailleuses sociales avec lesquelles j'ai travaillé étaient très prévenantes et gentilles, mais leur petit rire amusé quand je leur faisais remarquer qu'avec un paysage aussi somptueux que le Péloponèse c'était dommage de jeter tous leurs déchets par la fenêtre de la voiture au lieu de les mettre dans un sachet pour les jeter plus tard, je n'en pouvais plus. Ah, le petit écolo allemand, qu'il est amusant avec son concept de poubelles !

Xylokastro: Mes premières impressions de la ville.
Car oui, les Grecs ont beau vivre de leurs paysages et de leur patrimoine historique et culturel, ils le traitent avec un manque de respect qui touche au scandale. Entre le recyclage qui se résume à "papier-carton par la fenêtre gauche, plastique par la fenêtre droite" et les plages dégueulasses à peine nettoyées en plein été, j'ai été époustouflé par le dédain général des Grecs pour leur environnement, qui est pourtant leur gagne-pain majeur. Des détritus partout ! Et là je ne parle pas des grèves des éboueurs, je parle des sentiers, plages, grottes, trottoirs, des villes aux petits villages de montagne. Saison ou hors saison, d'ailleurs. Ironie, le touriste qui prendra de l'argent au distributeur de billet chez Alpha Bank se voit admonesté sur son reçu "Please keep Greece tidy" (veuillez laisser la Grèce propre s'il vous plaît) pour l'encourager à ne pas laisser le reçu traîner par terre. L’hôpital qui se fout de la charité, merci. D'ailleurs, tout un groupe de volontaires à Xylokastro n'était là que pour "nettoyer la plage et la forêt" avant la saison touristique... Mais l'exemple le plus criant qu'il me fut donné de voir fut ma visite dans la grotte de Drogarati, à Céphalonie. Un chef-d’œuvre de la nature et l'un des deux plus grosses attraction de l'île avec la grotte de Melissani (les deux grottes en question étant, grosso modo, la raison pour laquelle un touriste choisirait de venir sur cette île plutôt qu'une autre). Alors que je m'apprête à sortir de la grotte, l'un des gardiens avertie un groupe de touristes de ne pas prendre de photos avec flash, parce que la luminosité permet aux champignons et autres fongus de se développer. Je lui dit avec un sourire qu'heureusement que j'avais désactivé le mien parce qu'on ne m'avait pas averti, et que je trouvais que de toute façon les lumières de la grotte étaient suffisantes. Et alors là, stupeur.

Le gardien : "Oui, mais ces lumières sont mauvaises aussi, elles aussi elles font grimper des plantes et champignons" me dit-il en me montrant la mousse qui pousse autour d'un spot. "Ce ne sont pas des lumières spéciales."

Moi : "Mais est-ce que des lampes spéciales existent ?"

Lui : "Oui, oui, ça existe..."

Moi : "Mais cette grotte c'est non seulement un trésor de votre patrimoine mais aussi votre attraction phare, si vous ne mettez pas de bons spots vous allez la détruire ??! Pourquoi ne pas installer des lampes qui préserveraient la grotte ??" (et encore je fais court, j'étais sur le cul et donc assez loquace)

Lui, sur le ton de la conversation : "D'où venez-vous ?"

Moi : "De France."

Lui : "Ici, c'est la Grèce."

Ici, c'est la Grèce. Et cette réponse résume mon expérience avec la culture grecque, une ligne descendante que ni les paysages ni l'hospitalité des habitants n'a su remonter. Le choc culturel fut énorme, parce que je voyais une culture ancienne et fière tournée entièrement vers son passé, vivant du tourisme sans prendre soin de son outil de travail, manifestant contre l'"avarice des fascistes allemands" en défilant avec des panneaux montrant Merkel en uniforme de SS, tout en s'étonnant sincèrement sur les plateaux télé de la baisse significative de l'arrivage de touristes allemands pourtant super-clients habituels. Et ce en pleine grève des livreurs d'essence et donc un pays à sec de carburant en plein mois de juillet. Une Grèce qui se réclame source de la culture européenne, berceau de la civilisation hier, aujourd'hui et pour toujours (sérieusement, lu tel quel aux Météores) mais qui me justifiait la situation économique actuelle par des raisonnements du genre "nous sommes le seul pays à qui l'Allemagne n'a rien dédommagé après la guerre, et voilà où on en est". Voilà. Ici, c'est la Grèce.
De l'importance du cadrage : Ce que j'ai évité de vous montrer. Montagnes près de Velo, mars 2010.

Maintenant, la Finlande. J'ai eu la chance de pouvoir visiter le pays deux fois presque d'affilé quelques mois avant d'y emménager, en total touriste, donc, sans contrainte administrative ou autre. Mais le choc culturel n'a pas vraiment eu lieu, car comme tout bon touriste, j'étais tout de même isolé par cette bulle qui fait que je n'étais que "de passage". L'acculturation n'a pas vraiment lieu d'être et tout métissage culturel ne peut être que superficiel. Le vrai défi a commencé en août, quand j'ai déménagé pour de bon. Aller simple. Là aussi, le schéma classique n'a pas eu lieu.

Et pourtant, la culture finlandaise est beaucoup plus proche de ce que je peux accepter en tant qu'individu, et de ce à quoi mon esprit peut accepter dans un processus d'intégration. Le problème n'était donc pas dans une culture trop différente. Le problème c'est que j'ai eu à affronter une série assez harassante d'épreuves administratives, entre la Police, la Magistrature, la Banque, le système de santé, l'assurance, la fac. J'ai eu la tête dans le guidon si longtemps et si intensément qu'une fois la situation plus posée, j'avais déjà une idée assez équilibrée des deux faces de la médaille qu'on appelle Finlande. J'avais vu ses aspects les plus plaisants et son côté casse-couille. Pas de lune de miel au programme ou le pays serait parfait. Pourtant, après deux ans et demi de vie sur place, je n'ai jamais eu non plus de phase où le mal du pays m'aurait saisi et où je me serais dit "au diable ce pays de dépressifs alcooliques !". Même dans les pires moments financiers/administratifs, j'ai traversé la tempête en ayant à l'esprit "tu l'as voulu, tu l'as eu, un grand coup dans ton..." ainsi que ces aspects culturels qui me faisaient persévérer. Depuis le début, j'ai une expérience de la Finlande qui tient en équilibre entre ces deux côtés, et je peux donc dire que j'ai suivi une ligne ascendante sans tomber ni dans l'euphorie, ni dans le choc culturel. Peut-être que la culture finlandaise est trop proche de l'allemande avec laquelle elle partage beaucoup ? Ou bien c'est justement le contraste avec la Grèce que j'avais quittée seulement un an plus tôt ?

Par honnêteté intellectuelle je me dois de mentionner que les finlandais, eux-aussi, souffrent d'un paradoxe concernant le recyclage, j'y reviendrai plus tard car ça, par exemple, ça m'agace :-p
Maintenant je suis culturellement intégré (bémol pour la langue encore mais bon, c'est le finnois, c'est dur. Voilà.), et j'apprécie le pays pour ce qu'il est : Un beau pays de gens bourrus mais sur lesquels on peut compter s'ils vous acceptent, et dans lequel je me sens bien et voudrais volontiers travailler une fois le diplôme dans la poche - bref, y vivre, et ce en toute connaissance de cause. Je ne nie pas que pas mal de trucs peuvent m'agacer, que niveau nourriture au quotidien c'est pas le pied (et ça on s'en rend compte dès le Jour 1), que la vie est trop très chère... mais je m'y plais, je suis intégré. Et la France ne m'a jamais manqué.


Sauf sa cuisine.